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18 septembre 2014 4 18 /09 /septembre /2014 17:55

Aujourd’hui c’est un jour sans... Sans envie, sans entrain, sans joie matinale, sans plaisir de l’anticipation d’une journée nouvelle, sans appétit de l’avenir imminent. Cela arrive me direz-vous, mais cela m’arrive de plus en plus souvent.
Oh bien sûr je vais m’atteler à ma tâche, ma raison d’être et ce qui me fait vivre. Mais il me semble parfois qu’elle me devient peu à peu insipide et que je n’y mets plus la même passion qu’autrefois. Il faut dire que même Sisyphe pousse son rocher depuis quelques minutes à peine rapporté à ma vi
e.


Je ne saurais dire comment tout a commencé, comment je suis née. Je sais juste que ce fut violent et douloureux, que ma venue au monde se fit de manière funeste, dans l’abîme et dans la mort. Je sais qu’à ce moment est apparue en moi la faim insatiable des nouveautés nés, que toutes mes pensées, mon corps, mon âme furent mues pour une volonté surhumaine de se rassasier, de se repaître encore et encore quel qu’en soit le prix. Mais avant cela, ai-je existé sous une forme ou une autre ? Ma naissance était-elle programmée, inscrite dans en filigrane dans le grand livre de la vie, ou fut-ce un accident ? Etais-je puissance que la fatalité a accomplie ?
Pendant bien des siècles, jamais ces questions ne m’effleurèrent, ni aucune autre d’ailleurs. Ma conscience m’est venue progressivement, si insidieusement que je ne saurai la dater. J’ai d’ailleurs bien mal avec le temps, vous comprenez pourquoi... Ce fut... Ce fut comme une évolution très lente, un éveil doux et graduel, comme quelqu’un qui émerge péniblement des limbes de l’évanouissemen
t.


De mes premiers temps, il me reste presque rien. Quelques images estompées, bien souvent violentes et colorées de sang, mais qui s’embrouillent en moi en une mélasse pâteuse qui me fait même douter de ne pas les avoir simplement imaginées en rêve. Mais la faim je le sais, était là et m’est restée depuis. Indomptée, sauvage, bestiale ! Je commence à peine à la comprendre, pas encore à la maîtriser.
Longtemps je me suis jeté d’une victime à une autre, m’abreuvant de son âme avant de bondir sur mon prochain repas. J’ai fait naître des terreurs, pleurer les hommes les plus aguerris, façonné l’Histoire et les histoires, brisé les plus forts, fauché les faibles, sans distinction d’âge ou de puissance. On m’a nommée dans bien langues et tue dans d’autres par peur qu’à mon nom j’apparaisse, on a essayé tant de vaines fois de m’échapper, de m’oublier pour un temps, de m’amadouer comme de me maudire ou même de me tuer ! On m’a vénérée et on m’a haïe. On m’a nommé Diable et Die
u.


Je ne compte plus mes surnoms mais je dois dire que le sobriquet de vampire et l’image qu’on s’en fait m’amuse beaucoup. Je serai censée craindre la lumière, l’ail et les crucifix et ne pas avoir de reflets. J’aime cette représentation qu’on s’est faite de moi car elle montre bien le ridicule de l’Humanité à vouloir à tout prix expliquer l’inexplicable, à mettre des mots, des images sur ce qui la dépasse de sa toute-puissance pour se rassurer en pensant avoir ainsi une quelconque maîtrise.
Vous pourriez me croire perverse, sadique ou je ne sais quoi de plus mesquin encore. Il n’en est rien. A vrai dire, je suis plutôt indifférente et froide. Il m’arrive même de pratiquer l’humour à ma façon, certes un peu noir. D’ailleurs je ne peux vous cacher que j’éprouve un plaisir particulier à me nourrir des puissants qui se croient inatteignables...
Mais croyez-le ou non j’ai aussi fait beaucoup de bien. J’ai fait des héros comme celui que vous avez surnommé le Che : en me faufilant la nuit dans sa tente pour me nourrir de son existence, je lui ai évité de vivre et de faire face aux contradictions du communisme, aux espoirs déçus et déchus. Regardez ce qu’est devenu Fidel ! Non, en l’ayant tué jeune j’en ai fait une légende, un mythe impérissable et qui surtout n’a pas été corro
mpu.


J’ai aussi eu à mon menu quelques tyrans dont la disparation a été pour beaucoup salvatrice et pour moi gouteuse ! Ah Staline, j’ai hésité longtemps avant de te manger mais je ne te regrette pas ! Comme tu as tremblé quand tu m’as vu à la fin de tes vieux jours. Toi, l’impitoyable, toi tellement craint, toi l’ennemi d’un si grand nombre et le cauchemar de bien plus, tes larmes amères ont été mon nectar...
Bien sûr, il en est que j’ai mangé à regret mais comme je vous l’ai dit ma faim n’a pas de limites et m’a souvent rendu aveugle. Ceux qui me posent le plus de problèmes de conscience, je crois que ce sont les artistes. Ils semblent toujours être à la veille de créer leur chef d’œuvre !
Etonnamment je me pose moins de questions avant de croquer un enfant. Il faut dire que durant tout ce temps j’ai vu bien plus que mon lot d’horreur. Alors, même quand je m’en prends à nouveau-né délicatement potelé, je me dis que je lui évite tant de malheurs et de désillusions que j’agis presque pour son bien.

Je ne sais pas pourquoi ce soir je me confie à vous de la sorte Madame. Peut-être est-ce l’apaisement que j’ai lu dans vos yeux lorsque vous m’avez vu. Peut-être sont-ce les sillons du temps qui courbe votre visage lui donnant un air sage et accompli. Peut-être est-ce de voir votre fille qui s’est endormi assise à vos côtés et qui semble si paisible alors que vous me regardez fièrement. Peut-être encore est-ce simplement de la lassitude...
Je dois vous avouer que je vous trouve très belle. Vos cheveux argentés dont avez pris grands soin jusqu’à ce jour, la petite fossette d’un sourire malicieux qui s’est affirmée avec le temps, vous mains qui ont travaillé dur et qui pourtant n’ont pas oublié de caresser, vos épaules pleine de dignité gracieuse... Vous me faites penser au roi David dont le psalmiste dit qu’il était « vieux et rassasié de jours ».
Comprenez je vous prie Madame, tout le respect que j’ai pour vous et ce que vous représentez. Il n’y a rien de personnel à ma présence et mon acte proche, juste peut-être un ordre des choses insaisissable et surement un peu fou.

Alors, ne m’en veuillez pas Madame, car dans quelques secondes maintenant je vous dévorer. Vous deviendrez alors ma nourriture, ma raison d’être, ma vie. Car oui, il faut bi
en que La Mort vive aussi Madame...

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